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Peyi An Nou, ou l'histoire oubliée d'une mémoire d'exil en son pays...


La Guadeloupe a fait parler d'elle fin 2021 : des barrages et mouvements bloquent alors la circulation dans toute l'île antillaise... Il n'y est pas seulement question de la Covid 19 ou du passe sanitaire, mais aussi de Chlordécone et d'esclavage... Quels rapports? Un passé qui ne passe pas, à moitié oublié, à moitié figé dans les mémoires individuelles, familiales et collectives... Parmi les pièces de puzzle de ce passé figure celle du BumiDOM que traite cette excellente BD de Jessica Oublié et de Marie-Ange Rousseau. Partie du souhait d'écrire l'histoire de ses grands-parents, l'autrice découvre cette histoire qu'elle partage avec nous pas à pas.

Créée en 1963, cette Agence publique, le "Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'Outre-Mer", organisera en vingt années d'existence la migration de 160 000 personnes originaires de la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Réunion.

La BD révèle les intentions affichées du BUMIDOM, de répondre à une crise démographique antillaise, et celles plus officieuses, empreintes de colonialisme, notamment de combler un déficit de main d'oeuvre non qualifiée en métropole. Ils, elles deviendront aide-soignantes, facteurs, éboueurs...

Par une galerie de portraits, de trajectoires diversifiées, de regards croisés entre des celles et ceux qui ont vécu ou organisé ces migrations mais aussi des chercheurs en Sciences humaines qui depuis longtemps cherchent à faire entendre leurs voix, l'autrice enquête bien au-delà de sa famille et donne consistance à cette histoire. Elle témoigne aussi des effets contrastés de cet exil dit volontaire vers un pays qui est soit-disant le leur : entre celles et ceux qui se sont laissés assignés à des rôles attendus d'eux, et ce sur plusieurs générations, et restent blessés, emplis de désillusions, et d'autres qui ont aimé ce nouveau départ et/ou se sont saisis des opportunités d'envol vers d'autres destins pour revenir différents aux Antilles...

Cette question de l'exil antillais reste d'actualité : quels autres destins possibles pour ces jeunes vus sur les barrages à part celui de partir? Comme le rappelle Jessica Oublié, 3 à 4 000 jeunes quittent encore chaque année les Antilles, combien d'entre eux reviendront dans leur "peyi"?


Alors oui, il est temps de lire, de parler, de penser ce pan de mémoire française dont on garde largement les stigmates. Evidemment, je mets en lien cette BD avec l'excellent documentaire d'Alain Mabanckou, "Etre noir en France", ou encore celui de Raoul PECK "Exterminez toutes ces brutes" qui déconstruisent les représentations européanocentrées que nous avons tous intégrées et que nous ne pourrons dépasser vers plus de liberté et d'égalités, au-delà de déterminismes subis, qu'à la condition d' y faire face, tant collectivement que dans nos familles et individuellement.


Au-delà de ce travail remarquable d'enquête (reconnu en 2018 par le Prix de la BD politique France Culture) qu'elle a voulu à la fois précise et accessible au plus grand nombre via la BD notamment, Jessica Oublié nous inspire pour nous saisir, chacun à nos niveaux, chacun à notre manière, de nos histoires singulières d'exils. Nous sommes tous des exilés, d'un pays, d'une classe sociale, d'une région, d'une campagne, d'une famille... et il nous appartient de retisser les fils entre notre présent et ces mémoires familiales et collectives passées, parfois mal ou peu transmises, pour métisser nos futurs et éviter de construire nos vies sur des pans de tissus déchirés... Il appartient à chaque génération de permettre que des mots puissent être enfin posés sur l'indicible, l'inaudible, et de donner du sens sur ces impensés qui persistent et entravent nos vies...


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